Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

alain de benoist - Page 80

  • Alain de Benoist : « Le pouvoir politique a été transféré vers des instances où personne n’a jamais été élu… »

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question du pouvoir et de sa localisation...

    alain de benoist,turbocapitalisme,hollande,taubira,révolution

     

    « Le pouvoir politique, transféré vers des instances où personne n’a jamais été élu… »

    Alain Madelin et Gérard Longuet, que vous avez bien connus lorsqu’ils étaient de jeunes spadassins, ont fini par devenir ministres. Pour finalement constater que le véritable pouvoir était plus détenu par des administrations censées leur obéir, mais qui ne leur obéissaient pas… Aujourd’hui, en politique, où est le pouvoir ?

    Beaucoup de gens ont aujourd’hui une conception du pouvoir qui remonte au XIXe siècle. Un parti politique cherche à remporter la majorité pour s’emparer du pouvoir. Quand il est au pouvoir, il met en œuvre son programme. Le champion (ou la championne) devient ainsi un sauveur ! Malheureusement, ce n’est plus du tout de cette façon que les choses se passent. Les anciens ministres que vous citez, et bien d’autres avant eux, n’ont cessé de le constater : la marge de manœuvre dont ils disposent après être « arrivés au pouvoir » n’a cessé de se restreindre comme peau de chagrin. Cela ne veut pas dire qu’ils sont totalement impuissants, mais que leur liberté d’action se heurte à des contraintes de toutes sortes qui la limitent ou l’entravent de façon toujours plus étroite.

    Le pouvoir a par ailleurs quitté depuis longtemps ses instances traditionnelles. Se demander où est le véritable pouvoir, c’est se demander où se prennent les décisions. La grande question en politique est : qui décide ? « Est souverain, écrivait Carl Schmitt, celui qui décide dans le cas d’exception. » En quelques mots, tout était dit. Le pouvoir d’État, aujourd’hui, est en grande partie devenu un pouvoir auxiliaire ou subordonné. Ceux qui détiennent le véritable pouvoir appartiennent à des cénacles extra-étatiques et même extra-territoriaux. Ces cénacles comptent beaucoup plus de nommés ou de cooptés que d’élus. Et ce sont eux qui décident. C’est l’une des causes de la crise de la démocratie représentative, qu’il vaudrait d’ailleurs mieux appeler démocratie substitutive, puisqu’elle substitue à la souveraineté populaire le seul pouvoir de ses supposés représentants.

    Quand, en 1997, Lionel Jospin, alors Premier ministre, reconnaît à propos de la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde que « l’État ne peut pas tout », signe-t-il la capitulation du pouvoir politique vis-à-vis du pouvoir économique ?

    Je ne sais pas si c’est le meilleur exemple que l’on puisse prendre, mais il est évident que la subordination du pouvoir politique au pouvoir économique, et surtout financier, est l’un des traits majeurs de la situation actuelle, en même temps que l’une des grandes causes du dépérissement du politique (le politique étant tout autre chose que la politique au sens courant du terme). L’idéologie libérale, pour laquelle le lien social se réduit exclusivement au contrat juridique et à l’échange marchand, a toujours milité pour une telle subordination, au motif que la souveraineté politique empêche les mécanismes de « régulation spontanée » (la « main invisible » du marché) de produire pleinement leurs effets – à l’encontre d’une tradition européenne qui avait toujours veillé à ce que l’économique soit « encastré » (embedded, dit Karl Polanyi) dans le social, sous l’autorité du politique, et qui avait toujours mis en garde contre le pouvoir de la chrématistique. Le triste privilège de notre époque a été de pousser cette subordination à un point qu’elle n’avait jamais atteint auparavant. La politique de la dette adoptée par les États les a livrés pieds et poings liés au pouvoir des marchés financiers. Les diktats moralisateurs de l’idéologie des droits de l’homme ont fait le reste.

    Un pouvoir qui n’est plus souverain perd par là même son caractère politique. Or, comme chacun le sait, des pans entiers de souveraineté se sont effondrés au cours des dernières décennies. Notre souveraineté militaire a été déléguée à l’OTAN, notre souveraineté politique a été bradée aux institutions de l’Union européenne, notre souveraineté budgétaire au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance signé à Bruxelles en 2012, notre souveraineté juridique à la Cour européenne des droits de l’homme. Ce à quoi l’on est en train d’assister, c’est donc bien à la dépossession pure et simple du pouvoir politique, et à son transfert massif vers des instances où personne n’a jamais été élu. Et comme ces différentes instances sont elles-mêmes acquises à l’idéologie libérale, le pouvoir politique disparaît dans une sorte de trou noir.

    Pour résumer, quelle finalité pour le pouvoir ? Volonté de puissance ? Se donner les moyens de redonner un peu de sens à une société de plus en plus éclatée ? Laisser une trace dans l’histoire ? Faire triompher ses idées aux dépens de celles des autres ?

    Un peu de tout cela, sans doute. Au sens le plus élevé, le pouvoir politique aurait surtout pour but d’assurer à un peuple, non seulement un avenir, mais un destin. Mais dans l’immédiat, la première des tâches serait de tenter de redonner au politique les moyens de se dégager du système de l’argent. En étant bien conscient aussi que c’est en prenant le pouvoir qu’on risque le plus de lui céder. Le 1er janvier 1994, le très zapatiste sous-commandant Marcos disait : « Nous ne voulons pas prendre le pouvoir car nous savons que, si nous prenions le pouvoir, nous serions pris par lui. » Une mise en garde qu’on pourrait méditer.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 janvier 2015)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Tour d'horizon... (81)

    German Officier Leningrad.jpg

    Au sommaire cette semaine : la semaine Charlie Hebdo - quand quelques voix discordantes fissurent l'unanimisme de façade...

    - Frédéric Lordon sur le Monde diplomatique

    Charlie à tout prix ?

    - Maurice Gendre sur Scriptoblog

    Ce que dit "Je suis Charlie" du peuple français

    - Alain de Benoist sur Boulevard Voltaire

    « Charlie Hebdo, libéral-libertaire, était devenu l’un des organes de l’idéologie dominante »

    - Rony Brauman dans Le Monde

    Ce qu'il y a de non Charlie en moi

    - Laurence Maugest sur Polémia

    La Journée des dupes

     

    Mais heureusement, Closer, avec sa magnifique couverture, est là pour nous réchauffer le coeur : le "people" est Charlie !...

    Charlie Closer.jpg

     

    Lien permanent Catégories : Tour d'horizon 0 commentaire Pin it!
  • Le Traité transatlantique et autres menaces...

    Les éditions Pierre-Guillaume de Roux publient cette semaine un nouvel essai d'Alain de Benoist intitulé Le Traité transatlantique et autres menaces.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Krisis et Nouvelle Ecole, Alain de Benoist a notamment publié Au-delà des droits de l'homme (Krisis, 2004), Demain la décroissance ! (E-dite, 2007), Mémoire vive (De Fallois, 2012) et Les démons du Bien (Pierre-Guillaume de Roux, 2013).

     

    Traité transatlantique_alain de benoist.jpg

    " C’est un niveau d’alerte sans précédent que le Traité transatlantique (TTIP) actuellement négocié à huis clos loin des citoyens comme des États, fera franchir à l’ensemble des pays d’Europe, s’il est ratifié. En faisant, plus que jamais, planer l’ombre d’une bérézina ultra-libérale sur la vision idyllique de l’immense zone de libre-échange qui doit permettre, entre les deux continents, une liberté de circulation totale des hommes, des capitaux, des services et des marchandises. Comment ignorer, en effet, que d’abord c’est  la protection du consommateur mais aussi des entreprises d’Europe, étendue aux domaines environnemental, sanitaire, salarial, etc., qui volera en éclats, chassée du dispositif légal par des normes américaines nettement moins contraignantes ? À telle enseigne que les multinationales obtiendront désormais le droit de traîner en justice les États nationaux dont elles jugeraient la législation nuisible à leurs intérêts.   Et si le prix du libéralisme à tout crin était la perte de la souveraineté nationale désormais soumise à la toute-puissance des marchés financiers ? Que représente exactement la mondialisation sinon le stade suprême de l’hégémonie du Capital ? Quant à la « gouvernance », prétendu modèle de management, ne donne-t-elle pas le moyen de diriger les États… en tenant le peuple à l’écart ?  

    Dans cet ouvrage très documenté, Alain de Benoist expose avec une remarquable clarté ces enjeux cruciaux et les dangers qu’ils annoncent. Avec, en guise de réponse, un seul mot d’ordre : pour faire face aux menaces, rebellez-vous ! "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • L'accord du plus fort...

    Les éditions Max Milo viennent de publier TAFTA - L'accord du plus fort, un essai de Thomas Porcher et Frédéric Farah. Les deux auteurs sont professeurs d'économie. L'ouvrage est très court et constitue une première sensibilisation à la question. Pour aller plus loin, et c'est indispensable, les lecteurs pourront se tourner vers le nouvel essai d'Alain de Benoist intitulé Le traité transatlantique et autres menaces, qui parait le 15 janvier 2015 aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

     

    Tafta accord du plus fort.jpg

    " Aujourd’hui à Bruxelles et aux États-Unis, se joue la signature d’un traité qui risque de changer radicalement la vie de centaines de millions de citoyens américains et européens.
    Son nom, TAFTA. Son but, abaisser le plus possible les barrières du commerce – notamment les normes – entre nos deux continents pour faciliter les échanges.
    Les négociations ont déjà commencé et portent sur des règlementations concernant l’ensemble de notre vie (alimentation, santé, droits sociaux,…). Pourtant, elles se font sans nous, sans nos élus, mais avec des représentants des multinationales.
    Ce livre présente les enjeux de TAFTA et en identifie les risques potentiels, afin que les citoyens s’approprient ces questions et exigent un vrai débat démocratique. "

     

     

     

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Le livre, dernier refuge de l'homme libre ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la culture et de la transmission...

    alain de benoist,turbocapitalisme,hollande,taubira,révolution

     

     

    « Numérique : le livre, dernier refuge de l’homme libre ? »

    Fleur Pellerin, ministre de la Culture, admettait récemment n’avoir pas eu le temps de lire un livre depuis deux ans. Vous, dont la bibliothèque compte près de 200.000 livres, est-ce que cela vous indigne ?

    Je trouve qu’elle est plutôt à plaindre. Fleur Pellerin n’est pas une femme antipathique. Comme beaucoup de jeunes Asiatiques, elle a sûrement travaillé dur pour obtenir ses diplômes. Elle a passé un baccalauréat scientifique, elle est passée par l’ESSEC et par l’ENA, avant de devenir à vingt-six ans magistrate à la Cour des comptes, ce qui n’est pas rien. Elle a ensuite occupé des fonctions gouvernementales en étant successivement chargée de l’Économie numérique, du Commerce extérieur, puis du Tourisme. Le problème est que tout cela n’a rien à voir avec la culture, ce qui est un peu gênant quand on est titulaire d’un poste qui fut, en d’autres temps, occupé par André Malraux.

    Bien entendu, un ministre de la Culture ne doit pas être nécessairement un écrivain. Mais si madame Pellerin n’a rien lu depuis deux ans (saluons au moins sa franchise !), c’est de toute évidence qu’elle n’a pas lu grand-chose avant non plus. J’ai du mal à l’imaginer plongée dans La Recherche, dans Les Cloches de Bâle ou dans Les Possédés, pour ne rien dire des Deux Étendards ou de La Fosse de Babel. Elle dit qu’elle « n’a pas eu le temps », ce qui prête à sourire. Les gens qui n’ont « pas le temps de lire » sont des gens qui n’en éprouvent pas le besoin. Quand on en a le besoin, on trouve toujours le temps. Fleur Pellerin ne dirait pas que depuis deux ans elle n’a pas eu le temps de manger ! Érasme, lui, confiait : « Quand j’ai un peu d’argent, je m’achète des livres et s’il m’en reste, j’achète de la nourriture et des vêtements. » . Je trouve que c’est une bonne façon de procéder.

    De son côté, Natacha Polony n’en finit plus de rappeler que l’école sert d’abord et avant tout à lire, écrire et compter. Et que l’enseignement numérique n’est finalement que subsidiaire…

    Il est toujours bon de rappeler le b.a-ba, mais l’école, en principe, ne doit pas seulement servir à lire, écrire et compter. L’Éducation nationale est censée éduquer, ce qui n’est pas tout à fait la même chose qu’enseigner. Éduquer, c’est mettre en forme et c’est transmettre. Or, nos enseignants ne savent visiblement plus que transmettre ni comment transmettre. Dans Les Déshérités, François-Xavier Bellamy assure même qu’il leur est « interdit de transmettre ». Entre ceux qui veulent voir leurs enfants acquérir des connaissances « utiles pour avoir un métier », transformant ainsi l’école en antichambre du cabinet d’embauche, ceux qui veulent laisser s’épanouir la « créativité » de ceux qui en sont manifestement les plus dépourvus, et les élèves eux-mêmes qui trouvent que « ça ne sert à rien » d’apprendre quelque chose, puisque « maintenant on trouve tout sur Wikipédia », la ligne de crête n’est pas facile à suivre. D’ailleurs, question lancinante : qui éduquera les éducateurs ?

    Dans L’Enseignement de l’ignorance, Jean-Claude Michéa affirme que l’oubli de l’histoire et des lettres classiques n’est nullement un « dysfonctionnement » de l’école, mais le but même qui lui est désormais assigné. Pour créer l’Homo œconomicus que le monde actuel place au centre de sa conception du monde, il faut que le futur consommateur soit rendu parfaitement malléable, et donc « libéré » de tout repère « archaïque ». L’oubli du passé répond aux exigences conjointes de la gauche libérale, de l’industrie des loisirs et du patronat. C’est pourquoi l’école actuelle fabrique des crétins à la chaîne, c’est-à-dire des incultes portés par la seule immédiateté de leurs désirs marchands. Or, la culture n’est pas un bagage qui permet de faire bonne figure à « Questions pour un champion », ni un élément décoratif conçu de façon bourgeoise comme la potiche qu’on place sur un dessus de cheminée, et moins encore une « industrie » dont l’avenir est dans le numérique, comme le croit Fleur Pellerin. La culture – je dis la culture, pas les « produits culturels » – est ce qui permet à l’homme d’acquérir une forme intérieure. Bernanos disait qu’« on ne comprend rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». C’est exactement cela.

    Autrefois, il fut prétendu que la photo allait détrôner la peinture, que le cinéma allait tuer le théâtre, que la télévision allait achever le septième art, et que les vidéo-clubs ne feraient qu’une bouchée des salles de cinéma. À l’heure d’Internet et de la VOD, qui va tuer qui ?

    Les nouveaux procédés techniques ne font pas forcément disparaître les précédents, mais ils les transforment. Lorsqu’il a perdu le monopole de l’image qui bouge au profit de la télévision, le cinéma a considérablement changé. Revoyez Ginger et Fred de Fellini ! De même, l’œil de l’Homo numericus qui balaie l’écran d’une tablette n’est pas l’œil qui découvre peu à peu une page imprimée. André Suarès écrivait en 1928 : « Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l’homme libre. Si l’homme tourne décidément à l’automate, s’il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d’un écran, ce termite finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront : il se laissera manier l’esprit par un système de visions parlantes […] Tout y sera, moins l’esprit. Cette loi est celle du troupeau. »  Le plus grand risque pour l’homme d’aujourd’hui est d’adopter un comportement technomorphe qui étouffe peu à peu ce qu’il y a en lui de proprement humain. Là, ce n’est plus Ginger et Fred qu’il faut évoquer, mais Fahrenheit 451.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 décembre 2014)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Réduction ad hitlerum et point Godwin : armes de disqualification massive ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la reductio ad hitlerum, une arme qui commence sérieusement à s'user...

    alain de benoist,turbocapitalisme,hollande,taubira,révolution

     

    Réduction ad hitlerum et point Godwin : armes de disqualification massive ?

     

    Dans les années 1970, Jacques Chirac était dessiné par Cabu en chemise noire dans Le Canard enchaîné, puis Jean-Marie Le Pen en chemise brune en une du Monde sous la plume de Plantu. Est-ce bien sérieux ?

    Ce n’est pas sérieux, mais c’est révélateur. Il est aujourd’hui admis que le nazisme a été le mal absolu (une expression qui laisse d’ailleurs songeur, car on ne voit pas comment il pourrait y avoir quelque chose d’absolu dans les affaires humaines). Pour délégitimer, décrédibiliser, disqualifier, rendre infréquentable un adversaire, il est donc éminemment rentable de laisser entendre ou de prétendre qu’il a quelque chose à voir avec ce détestable régime totalitaire, disparu depuis près de soixante-dix ans, mais qui n’en incarne pas moins toujours le Diable. Rappelez-vous le slogan de mai 68 : « CRS = SS ». Depuis lors, tout ce que l’idéologie dominante voue aux gémonies a été assimilé à « Hitler », lequel a ainsi entamé une belle carrière posthume. On a jeté l’opprobre sur d’immenses écrivains en se focalisant sur un moment passé de leur existence. On a représenté Nasser, Saddam, Kadhafi, Bachar el-Assad et même Poutine comme de « nouveaux Hitler ». On a abusé du raisonnement pars pro toto : « Vous aimez les chiens ? Tiens, tiens, Hitler aussi les aimait beaucoup… » Au fil du temps, ce que Leo Strauss appelait la reductio ad hitlerum est ainsi devenue un procédé économique, car permettant d’éviter tout débat (dans la doxa actuelle, comme vous le savez, il n’y plus d’idées justes ou d’idées fausses, mais seulement des idées « bonnes » ou « mauvaises »), auquel recourent avec une belle régularité tous les esprits paresseux. La conversation est ainsi reconduite à un objet répulsif destiné à susciter l’horreur ou l’effroi, ce qui permet de mettre partout le signe « égal » et de créer des synonymes inexistants. D’où le fameux « point Godwin », ce point que l’on est censé marquer quand on est parvenu à nazifier l’adversaire, sans craindre, tant le procédé est usé, de se rendre soi-même ridicule.

    C’est l’avocat new-yorkais Mike Godwin qui en avait énoncé le principe, en 1990, en observant que plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant Hitler ou le nazisme devient certaine. Aujourd’hui, le délai s’est singulièrement raccourci : compte tenu de l’usure des mots, on monte tout de suite aux extrêmes. Éric Zemmour, Alain Finkielkraut ou Élisabeth Lévy ne sont eux-mêmes pas épargnés : il suffit de recourir à l’inusable antienne de la « haine de soi » pour les représenter en « Juifs antisémites ». Le même procédé s’étend aussi bien sûr aux courants idéologiques, comme en témoignent les grotesques appellations de « rouges-bruns », d’« islamofascisme » ou de « nazislamisme ». Voici deux ans, lorsque l’écrivain Richard Millet avait dû faire face à la meute des critiques, un journaliste hurluberlu n’avait même pas hésité à dire qu’il était « pire que Hitler » ! C’est quoi, « pire que Hitler » ? Plus noir que noir ?

    Ce procès permanent en éternel « retour du nazisme », cette arlésienne de cafés du commerce ont-ils pour seule fonction de délégitimer ceux dont on se refuse à entendre les arguments ?

    Ce peut être aussi, à l’inverse, une légitimation historique rétrospective. Durant la Seconde Guerre mondiale, les démocraties occidentales se sont alliées à un totalitarisme – le communisme soviétique stalinien – pour en abattre un autre – le totalitarisme hitlérien. Il est vital que l’opinion reste convaincue que c’était le bon choix. C’est pourquoi l’inflation de la mémoire du nazisme contraste en permanence avec la suramnésie du communisme. Si critiquable qu’il ait pu être, le communisme doit toujours apparaître comme « moins pire » que le nazisme. Mais la légitimation s’applique aussi aux temps présents, quand il s’agit de faire accepter leur sort à ceux qui pâtissent le plus de l’existence : il faut qu’il y ait un mal absolu pour que l’abjection de la société présente leur devienne acceptable. On ne vit pas dans le meilleur des mondes, mais au moins on échappe au pire !

    Le problème est évidemment que, si le nazisme est partout, il n’est plus nulle part. Faire un incessant parallèle entre Hitler et Le Pen ne revient-il pas à banaliser le nazisme, alors que les mêmes accusent l’ancien président du Front national de faire de même ?

    Il est en effet difficile d’assurer que le nazisme fut un mal absolu, dont le système concentrationnaire a représenté un degré d’inhumanité « unique », et en même temps de prétendre qu’il resurgit partout. Le procédé est en outre des plus pervers, car si le « nazisme », c’est aujourd’hui Marine Le Pen ou Zemmour, beaucoup de gens vont finir par se dire que le nazisme n’était finalement pas si mal que ça ! À cela s’ajoute encore le grotesque de la posture antifasciste à une époque où la résistance à ce fantôme vaut certificat de bien-pensance médiatique, sans faire courir aucun des risques réels que couraient les antifascistes réels au temps du fascisme réel. La banalisation, enfin, est aussi celle des mots. À force d’invoquer le loup, le loup ne fait plus peur à personne. La dévaluation du langage est comme celle de la monnaie : sa valeur d’usage finit par tomber à zéro. Les épithètes autrefois disqualifiantes font maintenant hausser les épaules. « Le nazisme revient » : tout le monde s’en fout. Passons à autre chose !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 décembre 2014)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!